Pourquoi les Africains
doivent être Charlie.
En
n’étant pas Charlie, bon nombre d’Africains extériorisent un mal être. Ils
expriment l’incapacité à être des acteurs stables dans ce village planétaire.
Ce village, qu’ils appellent de tous
leurs vœux, mais qu’ils refusent de faire les sacrifices nécessaires pour s’y
maintenir. Nabali
Mitsere.
Quelques jours après la
grande marche « historique de Paris », contre la barbarie et pour la
liberté d’expression, il apparaît opportun de poser un regard sur la posture
des Africains. En nous attardant sur l’immense espace d’échange que sont
aujourd’hui internet et surtout les réseaux sociaux, que dire de l’attitude des
Africains ? Nous fiant à une vue panoramique, deux positions sont
perceptibles. Si une petite minorité
adhère à l’émotion de la France et de nombreux Européens, et brandit « je
suis Charlie », une majorité des post épouse des vues que l’on peut
qualifier comme étant des « Je ne
suis pas Charlie ». Arrêtons-nous sur les arguments qui alimentent cette
dernière position. Ceux-ci, dans leurs diversités, permettent de dresser le
portrait psychologique d’un type d’Africain aujourd’hui.
Un
Africain victime de tout et responsable de rien
Ces Africains là,
mettent constamment, dans la balance des rapports avec les autres, notamment avec
les anciennes puissances colonisatrices, les ressentiments. Leur malaise actuel
trouve très rapidement les causes dans les situations récentes. Ils
s’abstiennent à lire les événements à l’aune de la dynamique historique. Ainsi,
ils s’accrochent souvent très vite sur le premier messie qui s’autoproclame « garant
de la paix et de la stabilité ». Ils font des dirigeants grabataires et
incompétents des héros. Ces présidents, qui s’éternisent passivement au pouvoir,
sont présentés comme « le moindre mal ». Pour eux, les événements de
la Libye, de la Cote d’ivoire et du Mali fondent irrémédiablement le
commencement de l’histoire avec cette France arrogante et aujourd’hui blessée.
Ce portrait, qui filtre
des messages de ceux qui ne veulent pas mêler leurs voix à ceux de « la
communauté internationale », met en relief un Africain victime de tout et
responsable de rien. Car, les événements de Paris, l’assassinat des
journalistes de l’Hebdomadaire Charlie, sont l’occasion pour bon nombre
d’Africains d’exprimer des rancœurs et surtout des frustrations. Pourtant, dans
le cas de figure ici présent, à savoir l’attentat contre l’instrument
primordial de la liberté, nous sommes dans la symbolique de l’appartement du
voisin du dessus qui brûle. Que faisons-nous ? Nous avons logiquement une
alternative. Soit nous allons à son secours, soit nous nous mettons à l’abri. Il
n’est nullement opportun de dénoncer l’arrogance de la France, ou l’implication
de celle-ci dans tel ou tel forfaits pour ne pas voir l’entorse à la liberté de
tous.
Les attentats du 11
septembre 2001 aux USA, en ébranlant les piliers de l’économie capitaliste,
avaient surtout fragilisé les supports de la sécurité internationale. Ils
avaient banalisé le mal comme dirait Hannah Arendt. Le 07 janvier 2015 à Paris,
les terroristes, qui assassinent froidement une dizaine de journalistes dans la
rédaction d’un journal, prouvent qu’un pallier est franchi. L’attentat de
Paris, par le nombre de victime, comme par l’importance des dégâts matériels,
n’est pas comparable aux attentats du 11 septembre 2001. Pourtant, par le mode
opératoire, comme par la qualité des victimes, l’attentat de Paris ne peut être
lu sur le seul angle d’une guerre de civilisation. Il ne peut supporter une
responsabilité ad hominem de la France. Il ne peut valablement supporter
l’étiquète de guerre de décolonisation ou de libération. Les auteurs de
l’attentat de Charlie hebdo se sont attaqués à la source qui alimente toutes
les libertés. En s’attaquant aux journalistes ils ont essayé de tuer
l’initiative. Ils ont essayé de tuer l’imagination, en un mot ils ont voulu
tuer « l’homme moderne ». Pour Bruno Frappat, « Les
journalistes de Charlie Hebdo sont morts des libertés qu’ils ont prises et
c’est note liberté à nous qu’il faut défendre ». Car, quand un journaliste
hésite à Paris, la patrie des droits de l’homme, deux journalistes s’arrêtent
d’écrire en Amérique, et toute une rédaction se sauve en Afrique. L’on peut
évoquer l’effet papillon pour contrer ce linguiste sénégalais qui limite la
symbolique du « je suis Charlie » à la France.
Si la manifestation
historique de Paris prouve que les autres ont compris l’enjeu de la lutte contre
le terrorisme, est ce le cas pour les Africains. Pourtant, ces derniers ont un
double challenge, comprendre que ce que les autres défendent, c'est-à-dire la
liberté, ils doivent la conquérir.
Il
n’est pas question d’aimer Charlie Hebdo
Sur le journal Charlie
Hebdo, doit-on aimer ou apprécier la ligne éditoriale de ce journal pour
revendiquer le fait d’être Charlie ? Non. Pourtant, beaucoup, qui découvre
le journal au lendemain des événements, en font le porte étendard de la politique
française en matière d’immigration, de politique d’intégration ou de politique religieuse.
Il est peut être superflu de rappeler qu’il n’existe pas de quotidien
gouvernemental en France, comme dans beaucoup d’État africains, et surtout que
Charlie Hebdo, qui tirait en moins de 60 000 exemplaires, n’est aucunement
l’organe du gouvernement français. Un écrivain camerounais, bien connu sur la
place de Paris, pour défendre son choix de
n’être pas Charlie, relève que dans la rédaction de Charlie il n’y avait
pas de journaliste noir. L’on voit se pointer dans cet argument le réflexe
autoritaire. Les États faussement décolonisés usent des prétextes comme l’équilibre
régional, l’union nationale et la paix sociale pour maintenir les populations
dans la médiocrité depuis plus de 50 ans.
En n’étant pas Charlie,
bon nombre d’Africains extériorisent un mal être. Ils expriment l’incapacité à
être des acteurs stables dans ce village planétaire. Ce village, qu’ils appellent de tous leurs vœux, mais
qu’ils refusent de faire les sacrifices nécessaires pour s’y maintenir.
Certains ont tôt fait de conclure que l’Afrique refuse la liberté. Sans le
sursaut d’orgueil du peuple burkinabé en
octobre 2014, le continent africain aurait l’allure d’un encéphalogramme plat.
En laissant, aux seuls autocrates, à la tête de leurs pays, venir verser des
larmes de crocodiles sur les morts de la liberté, les Africains montrent leur
faible capacité d’indignation. Indignez-vous ! Dénoncez ces régimes qui
confisquent vos capacités à voir les biens fondés de la liberté. Pour ces
régimes, les voix discordantes mettent en danger l’unité nationale. Pour ces
régimes, les espaces de délibérations, qui sont à la base de la démocratie
moderne, sont des lieux de désordre et de dissidence.
Ces Africains, qui affichent
fièrement « Je ne suis pas Charlie », condamnent l’indifférence des
occidentaux à l’égard de leurs morts. Ils refusent de voir cette lâcheté, cette couardise, qui veut que quand 230
jeunes écolières sont enlevées au Nigeria, par des obscurantistes,
l’indignation vient de l’occident. Aucune capitale en Afrique n’a eu le courage
nécessaire pour organiser des manifestations « Bring back our girls ».
Ils disent que c’est une affaire de People, pendant ce temps les jeunes filles sont
transformées en esclaves sexuelles. Quand des journalistes sont tués en Côte
d’Ivoire et au Burkina-Faso, qui porte la charge de la lutte ? Reporters
sans Frontière. Ces Africains, maintenus,
sous des régimes peu décolonisés, où des pratiques coloniales, notamment
l’arbitraire et la gratification meublent le quotidien, trouvent le courage et
la bravoure dans une opposition illusoire à cette puissance coloniale. Je suis Charlie
va s’estomper, mais nous, nous aurons perdu l’occasion de nous arrimer à l’émotion
créatrice.
En scandant, « je
ne suis pas Charlie », ils expriment une frustration. Ils disent en
sourdine, cette liberté, c’est la votre ! Et nous alors ?…La liberté
ne s’exporte pas, elle se construit patiemment avec l’expérience des autres et surtout
avec nos propres valeurs.
Nabali Mitsere
nabali-mitsere.blogspot.com
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